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Interview DXT

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Interview

1997. Après vingt années de scratches et de mixes aventureux, DXT a.k.a. Grandmixer D. St. restait attaché à une certaine idée old school du DJing. Interview passionnée d’une personnalité qui aime à jouer le rôle de trait d’union entre tradition et expérimentation.
Sa renommée, il la doit surtout à Rock It, ce morceau d’Herbie Hancock qui, en 1983, mit la planète à l’heure de la break-dance. A cette époque, Grandmixer D. St. est un DJ très actif et il enregistre abondamment pour son mentor Bill Laswell. On le retrouve ainsi crédité sur de nombreux disques (de Sly & Robbie à Jalal des Last Poets en passant par... Manu Dibango), profitant - ou subissant - l’éclectisme visionnaire du producteur. Sans jamais avoir cessé ses activités, Grandmixer D. St. (devenu entre-temps DXT) a repris le chemin des studios depuis quelques années, et c’est toujours sous la direction de Laswell qu’il participe à des projets plus anticonformistes les uns que les autres. Le dernier en date : Elixir, un étrange trio de DJs/producteurs qu’il dirige de main de maître. Mais avant d’aller plus loin, et comme pour ouvrir les hostilités, DXT nous fait l’honneur d’un petit flash-back old school sur ses débuts dans le métier...

DXT
« Ma carrière de DJ a commencé dans les années 70, quand j’ai voulu m’acheter une paire de platines après avoir vu un DJ qui s’appelle Kool Herc. C’était un des premiers DJs à ne pas passer les morceaux en entier. Il prenait le meilleur de chaque chanson et il le mixait. C’est une légende dans le Bronx car c’était le seul à faire ça. Avant de le voir sur scène, tout le monde en parlait comme d’un phénomène, le génie des platines. J’ai eu l’occasion de le voir et ça a tout déclenché. Mais j’ai toujours été intéressé par la musique. Avant d’être DJ, j’étais batteur et je jouais beaucoup avec des groupes locaux. Quand j’ai entendu parlé de DJ Herc et que j’ai eu l’occasion de le voir... Ce type remplaçait un groupe entier à lui tout seul, uniquement avec une paire de platines. C’était la première fois que quelqu’un faisait ça dans notre communauté. La première fois que je l’ai vu, ça m’a vraiment impressionné. C’est comme ça que j’ai détruit la stéréo de ma mère et pas mal de ses disques, en essayant de le copier ! Puis j’ai trouvé un boulot au Mc Donald, et j’ai travaillé pour m’acheter ma première paire de platines. J’ai ensuite mis cinq mois pour me payer une mixette. Avant d’avoir ma propre paire de platines, j’utilisais le matériel d’autre DJ’s. A l’époque, je faisais plein de soirées. Je quittais le boulot et j’arrivais dans les soirées avec mon uniforme Mc Do, et je prenais les platines. Quand j’ai pu m’acheter mes propres platines, la première, je l’ai sortie de la boîte, je l’ai branchée et je n’ai fait que la regarder. Pendant cinq mois, je n’ai fait que les regarder ! Quand j’ai eu ma mixette, pareil, je l’ai installée et pendant un an, je n’ai fait que regarder mon matériel. J’avais l’impression d’être comme les savants fous au cinéma. Grâce à mon matériel, je n’avais plus besoin de celui des autres et j’ai commencé à faire mes propres soirées. Il y avait une bande de MCs qui m’accompagnaient dans les soirées, et ensemble, on formait une sorte de groupe. En fait, c’était juste un continuation logique de ce que j’avais dans l’idée. Au départ, j’étais batteur, et les platines m’ont juste permis de continuer dans mon idée d’être un musicien. Et j’avais toujours ce désir de jouer de la batterie. J’entends toujours les choses avec l’oreille d’un batteur. Pour moi, le tempo est très important, c’est vraiment un élément capital dans la musique. Puis les choses ont évolué... Après avoir joué dans plusieurs clubs, après que les gens aient commencé à parler de moi et à venir me voir sur scène... Le hip-hop est devenu commercial et tous ces gens plein de frics ont commencé à s’intéresser à cette musique. Ils ont commencé à se demander comment faire du fric à partir de là, sur notre dos, à partir de nos concepts et de nos idées. Dans le ghetto, on ne savait pas trop comment s’y prendre. Ce qu’on voulait, c’était s’amuser, faire notre truc. Comme on voulait que les gens s’amusent, on a accepté pas mal d’offres d’autres personnes qui ne pensaient, elles, qu’à faire du fric. Moi, le petit DJ du ghetto tout naïf, j’ai commencé à accepter pas mal de choses et finalement, j’ai tourné dans un film qui s’appelle Wild Style. Je devais aussi jouer dans un autre film, Beat Street. L’histoire de ce film, c’était en fait la mienne, ils ont vraiment copié ma vie. Comme le caractère principal du DJ était basé sur mon histoire, j’allais faire ce film. Mais finalement, j’ai décidé de ne pas le faire parce que je voulais partir en tournée. A ce moment là, Herbie Hancock m’avait proposé de partir en tournée avec lui. Un peu avant, j’avais participé à l’enregistrement de Rock it. Cette tournée me branchait bien, c’est pour ça que j’ai accepté tout de suite... et le film s’est fait sans moi. Voilà, c’est à peu près ce qui s’est passé dans les années 70 et 80, c’est un peu un résumé de ma carrière de DJ. Après ça, j’ai fait des trucs à droite et à gauche et je suis devenu de plus en plus connu. »

Scratch
« Peux-tu nous parler de Bill Laswell ? »

« Je connais Bill depuis 1981. Notre histoire est connectée avec Herbie. A l’époque, j’étais DJ à New-York, et comme je commençais à avoir une certaine renommée, on m’a demandé de jouer à Paris et un peu partout dans le monde. J’adorais ça. Puis, j’ai rencontré Jean Karakos (patron du label Celluloid. Ndlr) qui m’a lui-même présenté Bill. Et depuis, c’est la fête tous les jours. C’est démentiel. »

« Comment ressens-tu l’explosion actuelle de la scène des DJs, étant donné que tu as été le premier à sortir un album solo en tant que DJ (« Real deep » en 1984. Ndlr). Tu vois ça comme un phénomène de mode ? »

« Je ne pense pas que mon premier album soit vraiment un album de DJ. En fait, j’y ai fait de la musique plus traditionnelle. DJ Spooky, je ne l’ai pas encore vu sur scène mais à toutes les personnes à qui je demande ce qu’elles en pensent, toutes me répondent « C’est pas vraiment un DJ ». Du moins c’est ce que j’ai entendu, je serais assez intéressé de le voir jouer. Personnellement, j’aimerais revenir à un travail de DJ plus pur, plus traditionnel, faire le tour des boites et passer mes disques. Il y a quelques semaines, j’ai assuré les platines dans un club, The Kitchen. Je n’ai pas fait de scratches, j’ai juste passé mes disques comme un DJ de boite de nuit. De ce fait, je suis assez intéressé par ce que font d’autres personnes dans ce domaine... comment elles évoluent, comment elles préparent leurs shows. Moi, je m’intéresse plutôt aux bases du DJing. Mon truc, c’est de passer des disques et de faire bouger les gens. Le gars Spooky, je serais curieux de le voir sur scène, parce que beaucoup de gens en parlent et que j’ai lu pas mal de choses à son sujet. Certains disent que c’est le meilleur DJ du moment, d’autres que c’est pas vraiment un DJ, et moi j’aimerais me faire ma propre idée sur la question. Beaucoup de DJs ne le considèrent pas comme un DJ… »

« Qu’est-ce que tu veux dire par là ? »

« Des gens m’ont dit qu’il n’avait aucun talent. Pour un gars qui prend l’appellation de DJ, ça serait un peu le Canada Dry du DJ... Mais j’aimerais bien le voir de mes yeux avant de le juger. C’est vrai qu’il a une mauvaise presse en ce moment, et il jouit d’une mauvaise réputation auprès des autres DJs. Tous ceux à qui j’ai pu parlé m’ont dit que ce type-là n’avait aucun talent, qu’il était vraiment bidon. En plus, ils ne peuvent vraiment pas le sentir. »

 « Ne penses-tu pas plutôt que Spooky est vraiment un très bon DJ, et que tous les autres DJs sont jaloux de lui ? »

« Ouais, c’est peut-être la vérité, c’est peut-être le meilleur DJ de cette putain de
planète... J’ai lu un article sur lui dans lequel le journaliste le descendait en flèche, il disait que c’était un gros nullard... il l’a carrément détruit… »

« Spooky a répondu à cet article… »

« Il a mal répondu à cet article, qui était une attaque directe à sa qualité de DJ. Des interviews, j’en fais très peu moi-même. J’ai peur qu’on m’attaque et qu’on ne me prenne pas en considération, qu’on ne prenne pas en considération mon talent ou du moins mon art. Je n’ai pas envie qu’on me descende comme on a descendu DJ Spooky. Même s’il est nul, ce n’est pas du journalisme, ça. Et lui a été assez con pour répondre de façon virulente aux attaques du journaliste. Moi, je préfère garder mes distances, faire mon truc, et après on verra. C’est pas que je n’ai pas envie de faire des interviewes, c’est juste que je n’ai pas envie d’y réfléchir. Je ne suis pas victime du succès au point de vouloir faire à tout prix des interviewes. Il y a tellement d’autres choses auxquelles je dois penser. Moi, du moment que je fais mon truc et que je m’éclate… »

« Que penses-tu de gens comme Christian Marclay, et plus généralement de la musique expérimentale ? »

« Je suis assez intéressé par la musique expérimentale faite avec des platines. D’ailleurs, j’aimerais diriger un orchestre classique genre philharmonique qui se composerait uniquement de DJs. Cela fait un an que je bosse sur ce projet. A Paris, il y a quelques mois, j’ai rencontré Cut Killer, et il m’a dit qu’il voulait être dans cet orchestre. Je lui ai faxé mon idée... la formation d’un orchestre de trente-trois DJs en vue d’un enregistrement et éventuellement, d’un show à New York. Ce sera ma contribution à l’évolution du travail de DJ. »

« Joueras-tu dans cet orchestre ? »

« Ouais, mais j’y aurai surtout une fonction de chef d’orchestre. Ce sera la continuation d’un rêve que j’ai depuis pas mal d’années... Ce serait formidable, tous ces DJs rassemblés dans un cadre magique, normalement réservé aux orchestres symphoniques... C’est un rêve qui va se réaliser. »

« Sinon, joues-tu dans une formation plus classique ? »

« A l’heure actuelle, j’ai mon propre groupe, The Last Padres, qui joue un mélange de hip-hop, de funk et de jazz. Mon but est d’éliminer tous ces noms. Mettre des étiquettes sur des musiques, c’est de la merde. Du moment que la musique est bonne, pas besoin d’y coller une étiquette. La musique, c’est pas comme un produit dans les supermarchés, un produit sur lequel on est obligé de mettre une étiquette. Pas besoin de dire « ça, c’est du jazz, du funk ou du hip-hop ». C’est de la bonne musique, un point, c’est tout ! C’est ça qui est important. La musique de The Last Padres, c’est une combinaison de toutes ces étiquettes de merde. Ce n’est plus du jazz, du funk ou du hip hop. C’est de la musique pure, celle que j’aime... Mon but, c’est de faire de la bonne musique avant tout. »

« Dans ton groupe, il y a uniquement des platines ou il y a d’autres instruments ? »

« Il y a d’autres platines mais c’est un groupe... un groupe de platines. Je m’intéresse beaucoup à tout ce travail de DJ. J’aime The Invisible Scratch Pickles, j’ai fait quelques dates avec eux, en France et en Suisse. Je vais bientôt partir en tournée en Afrique avec les X-Men. Avec le groupe Each Temples et Rob Swift des X-Men, on fait un travail interactif. Ils sont dans la même branche que moi, et on a déjà travaillé ensemble sur mon projet d’orchestre de DJs. Le fait de travailler avec ces gars me permet de revenir aux fondements mêmes de mon travail de DJ, de revenir aux sources, car j’étais parti dans un tout autre délire... Ils m’apprennent et m’aident beaucoup, et cela me permet de garder ce coté roots du DJing tout en évoluant avec mon temps. Ca me permet d’évoluer avec les nouvelles techniques. Du scratch au maniement des disques, les techniques évoluent et moi, je reste quand même un papy du DJing. Ma technique est bonne mais pas très contemporaine en regard de ce qu’eux sont capables de faire. C’est comme si je revenais à l’école, je réapprends mon boulot. Ca me permet de revenir à l’idée originelle du hip-hop. Beaucoup de gens pensent que le travail de DJ et le hip-hop, ce n’est pas la même chose. Alors qu’en fait, tout ça vient du hip-hop. Le hip-hop, c’est la base de la manipulation des disques : utiliser le meilleur du disque, scratcher, etc... On ne peut pas séparer le travail du DJ de la culture hip-hop. C’est dommage, mais c’est le problème des journalistes en général, qui n’ont pas une bonne connaissance de cette culture. Ils s’imaginent que c’est le MC qui fait la culture hip-hop, alors que les jalons de cette culture ont été posés dans les clubs, par des gens qui manipulaient les disques pour que d’autres puissent s’amuser et danser. C’est encore les journalistes qui font des séparations et mettent des étiquettes là où il ne faut pas. Et tous ces connards mal informés écrivent des articles dans lesquels ils étendent leur peu de connaissances. Ils s’imaginent qu’ils ont la clé de tout, mais ils écrivent n’importe quoi. Moi, je suis retourné à l’école pour apprendre les nouvelles technologies. Eux, ils feraient bien de vérifier leurs petits papiers pour savoir vraiment ce qu’est la culture hip-hop. Il n’y a pas une culture DJ, il y a une culture hip-hop. Tout vient du hip-hop. Le hip-hop, c’est prendre une chanson, la déchirer et la rendre encore meilleure. C’est quelque chose de vraiment dément... On écoute une bonne chanson et on se demande comment la rendre encore plus géniale, comment mélanger cette ligne de basse avec cette batterie... Dans le monde entier, des gens ont de telles idées, et ils ressentent le besoin de mélanger les musiques, de prendre le meilleur de chaque morceau et de tout mélanger. »

Propos recueillis par Alex Mony
Traduction MC2
Mixage DJ X

en écoute DXT feat. Shorty Black /Bootsy Collins / Greg Fits / Bernie Worrell

  If 6 Minutes Was 9 Minutes 

Discographie sélective

Herbie Hancock
« Future Shock » (CBS)
Herbie Hancock
« Sound-system » (CBS)
V/A
« Roots of rap - The 12 inch collection Vol.1 » (Celluloid)
« Altered Beats » (Axiom)
Mutiny
« Aftershock 2005 » (Black Arc)
Bill Laswell
« APC tracks Vol.1 » (APC)
« APC tracks Vol.2 » (APC)
The Last Poets
« Time Has Come » (Mouth Almighty)
Praxis
« Transmutation Live » (Gravity)
Elixir
« Hegalien Zone » (Ion)


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