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interview Questlove

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interview

Après le concert incensé de The Roots du 7 mars 1997, la communauté hip-hop marseillaise est restée sur le cul. Exclusivement pour les lecteurs de Scratch, interview de Quest Love, le batteur, un groupe qui ne cessera jamais de nous surprendre ...

Vendredi 7 mars. 0h29. Quelques badauds encore sous le choc traînent leur mine hallucinée devant le Théâtre du Moulin alors que souffle un resquit du mistral de la veille. « Putain ! Qu’est-ce qui c’est passé ? » se demandent encore ceux que la consommation de gros spliffs n’a pas rendu totalement amorphes. Trois heures auparavant, quand les Roots ont investi la scène, tout semblait se passer normalement. Quelques classiques au programme, six ou sept compos du groupe jouées live, tout ce qu’il y a de plus naturel, quoi ! Puis soudain, ça a commencé ... et pendant l’heure et demie suivante, le bon millier de personnes présentes aura pu assister à un medley les plus incroyables de toute l’histoire du hip-hop, une espèce de gigantesque collage de mini-reprises qui allaient de Method Man à George Clinton en passant par ATCQ, Public Enemy, le Sugarhill Gang et plein d’autres bijoux old school oublié ou non-identifiable. Au milieu de tout ça, un solo de batterie bien senti d’un bon quart d’heure, un solo de basse apocalyptique sans oublier le clou du pestacle, je veux bien sûr parler de l’incontournable Godfather Of Noize Rahzel, the real Robocop of hip-hop... « Une putain d’overdoze de supa hip-hop dope shit directly injected dans tes vaisseaux sanguinolants, man ! » déclarait Radikul à un journaliste du Provençal. En d’autres termes, un concert qui restera longtemps gravé dans les mémoires marseillaises ...

Scratch
« Quels sont tes racines personnelles ? Quelle est la musique avec laquelle tu as grandi ? »

B.R.O.T.H.E.R. ?
« Je joue de la batterie depuis que j’ai deux ans. Mon père avait au moins 9000 disques. J’écoutais de tout : Bill Withers, Les McCann, Coltrane, Jackson 5, War ... Les ingrédients principaux étaient beaucoup de soul. Les dix premières années de ma vie je voulais être D J, même si je jouais de la batterie. J’ai acheté des platines pour m’entrainer, c’est pour ça que j’écoute plein de trucs différents. Mes deux grosses influences sont James Brown et Average White Band. »

« Pour le funk dans ton jeu … »

« Ouais, ouais …. »

« En parlant de jazz, vous avez été un des premiers groupes à inclure de vrais éléments de jazz dans le hip-hop. Je parle de vrai jazz, pas le jazz bien propre sur lui. »

« Je vois ce que tu veux dire … »

« Des mecs comme Steve Coleman, Joshua Redman et David Murray ont joué sur vos disques. Comment vous êtes-vous rencontré ? »

« Avec la majorité de ces mecs, on s’est rencontré en dehors de la musique, des soirées. On a appris à se connaître et j’ai fini par voir qui c’étaient. Steve Coleman, par exemple, était toujours chez mon manager qui était un des plus grands DJ de jazz de Philly. C’est comme pour Cassandra Wilson, on était assis sur un divan, un jour, et je lui ait dit en rigolant « On m’a dit que tu chantais un peu », et on sait très bien que c’est une des meilleures chanteuses du monde. En fait, on s’est rencontré comme ça et mon manager a fait en sorte qu’on travaille avec les bonnes personnes. »

« En parlant de jazz, est-ce que vous avez des notions d’harmonies parce que quand on écoute certains de vos morceaux les progressions sont faite d’accords assez complexes ? »

« Bien que j’ai appris moi-même à jouer de la batterie vers six ans, j’ai pris un prof. Et Hub, le bassiste, a été au conservatoire et a étudié la musique classique pendant les vingt premières années de sa vie. Kamal, le pianiste, vers cinq ans, son père lui a dit « Tu vas jouer du piano ». Il arrivait pas à la hauteur du clavier, mais jouait comme Duke Elligton. A nous tous, on a cent ans d’expérience musicale. »

« En parlant de batterie, qui sont tes batteurs favoris ? »

« Le grand Tony Williams qui vient de mourrir, c’est une de mes idoles, j’écoute « Papa » Jo Jones, Philly Joe Jones, Max Roach… »

« … une peu de Elvin .. ? »

« Ouais, bien sûr. Mais le batteur sur lequel j’ai polarisé est Steve Ferrone du Average Withe Band. John Bonham de Led Zeppelin, je l’ai vraiment accroché plus tard. Il avait un contrôle fantastique. J’ai des vidéos sur Led Zep’ et je n’avais jamais compris comment quelqu’un pouvait jouer pendant quatre heures durant. Il utilise toutes les parties de son corps, pour pas se fatiguer trop vite. »

« Connais-tu James Blood Ulmer (le guitariste d’Ornette Coleman), il a une chanson, « Jazz Is The Teacher, Funk Is The Preacher » et le Hip Hop c’est quoi ?

« Si le Jazz est le professeur et le Funk le prêcheur ... alors le Hip Hop c’est le fils adoptif. » (rires)

« Bonne réponse. C’est la dernière question de la série jazz. Parlons de David Murray, il a l’air très intègre vis-à-vis de la musique (Amhir acquiesce l’air grave). Il a déclaré « Pas de sample pour David ». Il a joué un solo assez long et vous en avez gardé que 50 secondes. Comment a-t-il réagi à ça ? »

« Les morceaux du CD ont un temps limité. On a essayé de caser ce morceau mais on n’a pas eu la place. Déjà le CD fait dans les 77 minutes. Cela nous a pris au moins neuf prises pour l’enregistrer. Je jouais de la batterie genre « Boum, boum, tchac » et lui était là « Hiiihh !! Hiiihh !!! (il imite un sax free) et nous sommes restés bouche bée. Il nous demandait si tout allait bien... et on se remettait à enregistrer. Il est hallucinant. On était presque mal à l’aise... J’avais vu David en concert à Paris en octobre. Il a un son tellement excellent que je recommande aux gens de le voir avant qu’il meure. »

« Maintenant que vous semblez avoir du succès, pensez-vous que vous pourriez perdre quelque chose ? »

« Pas vraiment parce que, encore plus que pour le jazz, ma préoccupation est que le hip-hop reste fidèle à lui-même. Déjà, celui que j’ai écouté en grandissant n’existe plus. On essaye de garder la flamme du hip-hop vivante avant même d’aller plus loin dans l’expérimentation. Le prochain album qu’on enregistre en ce moment devrait sortir en février 1998. Pour le titre potentiel, c’est Things fall apart. Ce sera notre meilleure album sans aucun doute. »

« On l’attend avec impatience. Est-ce que le concert de ce soir était en partie improvisé, avez-vous un fil conducteur pour le live ? »

« Oui, mais il faut réagir au public, si il nous demande une chanson, on suit. C’est ça qu’il y a de bien lorsqu’on est un groupe live, on peut changer le cours du concert selon l’humeur. Si on jouait avec DAT on pourrait pas faire ce genre de truc. »

 « Sur les crédits de votre dernier album, vous dites que Black Thought est le seul rapper à être couché à une heure du matin, il est couché, là ? »

« On est tous 100% nocturnes. Moi, j’en suis au point ou je ne dors que trois ou quatre heures par nuit. Mais lui, il faut qu’il dorme bien, chez lui c’est un besoin physique. »

« D’après les crédits sur le disque, aussi, vous appelez votre mixeur / ingénieur du son, Bob "Allez les mecs" Power ou Bob "J’essaye de travailler moi" Power. Vous avez l’air de vous être amusé pendant l’enregistrement du disque. Comment était l’atmosphère en studio par rapport au précédent album Do you want more ??!!??

« En fait, pour Do you want more ??!!??? on a gaspillé plein d’heures... On était beaucoup plus disciplinés sur Illadelph Halphlife, c’était peut-être moins spontané mais beaucoup plus sérieux. Je le taquine un peu, Bob Power. J’aime bien écrire des commentaires marrants sur les disques pour les gens qui lisent tout de A à Z… »

 « Pourquoi numérotez-vous les titres sur chaque disque où vous vous en étiez arrêtez sur le précédent ? Par exemple le dernier Roots va de 33 à 54 au lieu du traditionnel 1 à 24, par exemple. Est-ce pour rendre la tâche difficile de sélectionner les titres à la télécommande pour l’auditeur ou bien pour montrer la continuité dans votre œuvre. Jusqu’à quel numéro pensez-vous aller ? »

« Je serais satisfait quand on en sera à la chanson n°100. Mais sinon c’est vrai, Organix allait de 1 à 17, Do You Want More ???!!?? de 18 à 33, Illadelph Halphlife de 34 à 54 et Things Fall Apart ira surement de 54 à 70 en gros ... et on continuera le plus loin possible … »

 « Votre premier album « Organix » est très difficile à trouver. Comptez-vous faire quelque chose, réédition ou quoi ? »

« Tu vois, on essaye de contrôler le maximum sur Organix. On pourrait facilement le lâcher à Geffen et eux ils le ressortiraient mais on aimerait en garder le contrôle. Pour l’instant on pourrait en ressortir un certain nombre. Si on avait $ 100.000 on pourrait en ressortir 400.000 copies, en ce moment on essaye d’économiser un maximum. C’est en train de se faire, c’est lent, mais ça arrive. Et Organix, c’est l’album que Geffen ne contrôlera jamais… »

« Est-ce que vous pensez un jour sortir un album exclusivement digital ? »

« En fait, c’est un de mes rêves ... Pour le cinquième album on fera un truc comme le Bomb Squad pourrait faire. Mais Things Fall Apart, notre quatrième album, sera le plus risqué, le plus musical et en fait celui qui sonnera le moins hip-hop des quatre premiers, pour le cinquième ce sera différent. »

« Pouvez-vous nous dire deux mots de vos collaborations, vous avez parlé d’Erykah Badu. Que pouvez-vous nous dire de votre collaboration avec Steve Williamson, DJ Krush ou Bahamadia ? »

« Steve, il est fou. Il est vraiment plus allumé que nous, c’est celui qui nous a donné le goût des rythmes composé, des trucs en 7/8 par exemple. On l’entend sur ses albums, il nous a ouvert l’esprit, lui et Greg Osby. C’est deux là on vraiment été essentiels pour nous tourner vers des choses moins conventionnelles. Avec Greg on a pas mal jammé pendant la période Organix. Quand à DJ Krush, c’est drôle, quand on travaille avec lui. Il parle pas anglais, nous pas un mot de jap, mais on a très bien communiqué par la musique. Bahamadia, on travaille sur son projet en cours son album s’appellera B. Girl Sessions. Décidément, ça vous fait pas mal d’exclusivité, rien que pour vous, personne d’autre ne le sait ... Elle devrait le sortir en septembre, elle a plein de monde sur l’album comme Chubb Rock, Funky 4+1, The Sequence, des gens de la old-school. »

« Ouais, en parlant de Old School, ce qui nous a aussi plu ce soir c’est que vous êtes un peu revenus aux sources. Juste le beat et la voix, y avait un côté à l’ancienne qui nous a fait plaisir. Est-ce que vous faîtes ça souvent en live, ou est-ce que vous réagissez au public ? »

« Avant, on le faisait pour le sport. Mais, en 1997, c’est une nécessité. Je ne me soucie pas vraiment de faire l’entertainer. Sur scène certains font les bêtes de scène et le public fait « Yeah ! ». Nous on fait aussi les historiens du mouvement, on l’enseigne aux gens. Ca peut sembler anecdotique, mais c’est important, l’histoire doit être connue des gens. Les Fugees font ça aussi, et c’est bien. »

« Comment vous situez-vous par rapport au Native Tongues ? (association de ATCQ, Jungle Bros., Black Sheep ….) »

« Nous, on en ferait partie mais pas officiellement (il se marre). C’est là que se trouvent mes groupes préférés. On est sur un titre du dernier Jungle Brothers et Q-Tip et moi on discute tous les jours, et avec Star Wars qui ressort je dirai que Tip c’est un peu mon Yoda personnel. Ali et moi sommes dans le même groupe. Ca, peu de monde le sait, mais Ali joue de la basse. On a commencé ce projet avec D’Angelo, Raphaël Saadiq de Toni Tony Toné, Ali Shahid Muhamed, Spanky le type qui joue les guitare sur What They Do et moi-même. On essaie de sortir un album et je serai sur le prochain album de D’Angelo. »

« Dernière question, question bateau ...Comment voyez-vous le futur du Hip-hop ? »

« Hmmm ... Bon, je vais essayer de ne pas être trop pessimiste. Je dirai pas que le hip-hop est mort mais ... si je le laissais mourrir dans mon esprit il le serait bel et bien. Je n’aime pas trop ce qu’il est en ce moment. »


Propos recueillis par DJ Stiff
interview parue dans la revue Scratch n°7, mars 1997.